Le serment de Pézenas !

Histoire de la saga des prunes Reine-Claude de Pézenas

D'après le travail de Claude Alranq et la mise en forme de Frank Broutin


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Le texte de Claude Alranq

Le royaume de France était en chantier. Trois siècles avant il avait acquis le Languedoc, vingt ans à peine la Provence et maintenant, Anne de Bretagne épousant Louis XII, la Bretagne devenait française. À leur décès en 1514, leur fille Claude de France héritait du royaume. Elle héritait aussi de « la Comté de Pézenas-Montagnac-Cabrières » qui appartenait personnellement à sa mère. Claude de France était destinée à François d’Angoulême. Elle l’épousa l’année suivante : il devint François Premier. C’était l’apogée de la Renaissance, le temps des châteaux de la Loire, des grandes découvertes, d’Érasme et des humanités, de Shakespeare et du théâtre, de Rabelais et des mythologies… et de Triboulet le bouffon du nouveau roi, l’apollinien François.

De son vivant, la reine Claude de France n’eut pas le temps de découvrir sa bonne cité de Pézenas. Mariée à 14 ans, sept fois mère entre 1515 et 1524, François 1er ne lui laissa que le temps de procréer et de se donner à de bonnes œuvres. Ce qui lui valut la renommée de Candida candidis et du blason qu’elle se donnât : un cygne blanc transpercé d’une flèche. Elle mourut en 1524, elle avait 25 ans. En hommage à sa septième maternité, elle venait de recevoir un cadeau qui serait passé inaperçu s’il n’avait été offert par Soliman le Magnifique, le sultan de l’Empire Ottoman. Ce don était un arbrisseau inconnu en Occident : un prunier d’une variété exotique qui ne pouvait être comparé aux pruniers de Damas que les Croisés avaient ramenés de Terre Sainte au Moyen-Âge. Celui-ci était passé par la Sublime Porte, celle du palais de Topkopi à Constantinople.

L’Histoire rapporte qu’à l’enterrement de Claude de France, le roi avait versé en public une larme, ce qui n’arrivait jamais à cet athlétique guerrier, présent sur tous les champs de bataille qui l’opposaient au roi de Castille, d’Aragon, des Flandres, d’Autriche, du royaume de Naples et de Franche-Comté : le redoutable Charles-Quint. La légende ajoute que la maîtresse du roi (Françoise de Chateaubriant) aurait glosé, après les obsèques, qu’on ne pleure pas que de tristesse. Ce qui laissait entendre que le roi était déchargé de « la reine des prunes » et qu’il allait enfin pouvoir être pleinement lui-même, c’est-à-dire : entièrement à elle.
La réplique déplut fort au bouffon Triboulet qui réagit en faisant dire à sa marotte : « Il vaut mieux être la reine des prunes que la figue favorite d’un harem qui n’en a pas le nom mais l’exquise réputation ». Blessée par la répartie, la belle maîtresse rapporta le propos à son royal amant qui infligea à son bouffon la sentence suprême, la condamnation à mort : « À mon retour de guerre, tu me diras de quelle manière ? » Alors Triboulet s’en retourna à sa niche de fou en faisant pleurer sa marotte comme un chien qui a perdu son maître.

En vérité dans cette cour grandiloquente, il était le seul qui respectait la mémoire de la défunte reine. C’est lui qui avait suggéré à François 1er de donner le nom de Reine-Claude au fruit primesautier qui jaillirait du prunier offert par Soliman le Magnifique. Il aimait la Reine-Claude d’un amour innocent. Candida candidis, elle était pure parmi les pures mais aussi simple parmi les simples. Rondelette, boiteuse, pensant jamais à mal, elle était devenue « la reine des prunes » pour les courtisans les plus polis et « la filleule du Grand Mongol » pour les plus insolents. Pour Triboulet, elle était une amie qui, comme lui, préférait au sceptre la marotte. La Reine Claude avait l’art d’en jouer avec lui quand il fallait amuser la fratrie des sept enfants royaux… Osons préciser : … quand sa belle-mère (Louise de Savoie, la mère de François 1er) était absente du palais ou qu’elle consentît à ce que Claude disposa de sa progéniture.

À son retour de guerre, François 1er était en compagnie du duc de Montmorency qu’il venait de nommer gouverneur du Languedoc. Dès qu’il vit Triboulet bénir de sa marotte celui qui deviendra le connétable du royaume, il réitéra sa sentence : « Fou, quelle mort as-tu choisi ? » Sans perdre de sa superbe effronterie, le bouffon rétorqua : « Bon roi, par Sainte-Nitouche et Saint-Pansard patrons de la folie, je demande mourir de vieillesse ». Montmorency et le roi éclatèrent de rire, le roi gracia le bouffon.

Les années qui suivirent, Triboulet se contenta de rire pour rire. L’actualité était devenue trop dangereuse, Charles-Quint et François 1er se disputaient l’Europe pendant qu’Henri VIII, roi d’Angleterre, marchandait son alliance au plus offrant. Cela n’empêcha pas le roi de France d’épouser la sœur de son ennemi : Éléonore d’Autriche. Cela n’empêcha pas non plus Soliman le Magnifique d’occuper la Hongrie et d’assiéger la capitale de l’Autriche. Cela n’empêcha pas davantage que le très catholique François 1er conclue une alliance avec le très musulman Soliman… Bref, la guerre coûtait très cher. La capture du roi après la bataille de Pavie et le tribut à payer pour sa libération alourdirent la facture. Sans cesse, les provinces de France étaient sommées de subvenir aux dépenses… Las ! Sauf que les États du Languedoc se montrèrent d’une générosité surprenante et qu’en Languedoc, la cité de Pézenas fut la plus cotisante. François s’en étonna, on lui rappela que cette comté était une propriété de sa première épouse : Claude de France, donc à lui. Ainsi décida-t-il de rendre visite à Pézenas durant l’été de 1533.

Triboulet fut du voyage. Il n’avait point oublié que le nom de Claude de France avait été attribué à la prune que fructifierait le prunier offert par le sublime Soliman. Or ce prunier, s’il était prolifique de rejetons et de drageons, ne l’était pas de fruits. Il était devenu un arbre d’une belle prestance, vert plus que le vert, charpenté mieux qu’une cathédrale mais d’une avarice proverbiale. Le bouffon s’en inquiéta et alla en demander la raison à un botaniste de renom : Pierre Belon. Le violon d’Ingres de ce jeune homme était justement les végétaux d’origine exotique. Son explication fut trop savante pour notre fou qui n’en retint que « la substantifique moelle » : semer, planter, engraisser, arroser… c’est bien mais c’est insuffisant car on risque de travailler pour des prunes !
L’expression « travailler pour des prunes » travailla à tel point le bouffon qu’il s’en remit au jugement de sa marotte : « Quand ça ne sert à rien ou quand ça ne rapporte rien, tu travailles pour des prunes. Autrement dit, c’est un travail de fou. Comme tu es fou, demande à ce Pierre Belon un drageon de ce prunier, tu en fais ta marotte. Et tu verras bien ce qu’il en adviendra ! »

En août de 1533, le roi, la nouvelle reine et la cour arrivèrent en Languedoc. Leur accueil fut à la hauteur des privations que cette province consentit pour la libération du roi. François 1er en fut ému et plus ému encore par le souvenir que les gens de « la comté de Pézenas » gardaient de la Reine Claude. Déjà ils devinaient en elle la seule reine de l’Histoire de France qui sera à la fois la fille, la femme et la mère d’un roi. Profitant de cet hommage rendu par les consuls de la cité, Triboulet réagit aussitôt :
-  Étant plus fou que notre François, je me permets de répondre à sa place. Voyez-vous, braves gens, ma marotte ? C’est devenu – je ne sais pas pourquoi – un arbrisseau qui, un jour prochain, pondra – si Dieu le veut – des prunes qui porteront le nom de Reine-Claude. Merci de vous souvenir qu’elle fut la bienheureuse patronne de votre comté. Aussi notre bon roi François vous offre ce jeune prunier et compte sur vous pour faire mentir le proverbe selon lequel travailler pour des prunes, c’est travailler pour que dalle ou pour tchi. *
Pour la première fois de sa carrière de bouffon, Triboulet ne recueillit aucune réaction. Ni rires, ni pleurs. Il laissa sur le Pré-Saint-Jean le fragile scion qui lui servit de marotte le temps d’un aller-retour Fontainebleau-le Midi. Le silence qui s’ensuivit avait la fragile ferveur des 5000 regards piscénois qui hésitaient à relever le défi. C’est le connétable de Montmorency qui l’officialisa : - Gouverneur du Languedoc, je vais être des vôtres puisque je vais résider à la Grange des Prés. Je m’engage à ce qu’un des pigeons-voyageurs de ma métairie de Loubatières porte à sa Majesté la première Reine-Claude que ce prunier engendrera.
Alors s’avança un autre fou qui avait pour marotte un Poulain de toile peinte et en bois de châtaigner. De ses seize pattes, ce Poulain se mit à danser, à danser follement jusqu’à ce que le fou dansant devant lui s’empare de l’arbrisseau et l’emmène par la Pòrta de la Grava où Poulain, foule et invités s’engouffrèrent…

Lo mestre-dansaire del Polin de Pesenàs s’appelait Tarniquet, son surnom sûrement. Il était jardinier sur l’autre rive de la Peyne, celle des Calquièiras e Òrtes. On disait qu’il savait le secret des abeilles, qu’il était capable de greffer un arbre à noyaux sur un arbre à pépins et qu’il travaillait sans compter les heures mais plan-planet, au rythme de la nature et de son sicap (à sa tête).

Quelques années plus tard, le maître-colombier du Château de Fontainebleau vit tournoyer autour de la tour postale un pigeon harnaché d’un coffret. Ce coffret d’osier portait les armoiries du duc de Montmorency et il contenait une seule prune, verte et dorée, à la peau si délicate qu’elle gardait l’empreinte des doigts de la fée qui l’avait cueillie. Ce fut l’impression qu’en eut le roi lorsqu’il huma son parfum mêlant arômes d’oranger, d’amandier, de cerisier… La reine lui rappela la promesse qui lui fut faite à Pézenas en l’an de grâce 1533 et Brusquet, le nouveau bouffon qui était à son service, en profita pour évoquer la mort prochaine de son prédécesseur : Triboulet. Le vieux bouffon était à l’agonie non loin de là, dans quelque niche du château. François qui allait croquer la prune hésita. Il la tendit au fou : « Donne-la à Triboulet et que son âme aille l’offrir à notre Reine-Claude ».

Claude Alranq

*« Que dalle » vient de l'occitan « que d'ala », c'est-à-dire « que de l'aile » (parce que les ailes des volailles sont peu généreuses en viande).
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